Autres religions : La Pensée du Dieu unique dans les religions de l’Arabie préislamique (étude thématique) – Partie 1
Article avec le concours de Christian Julien Robin (Tous les droits de diffusion lui sont réservés à l’origine)
Les noms du Dieu unique dans les religions de l’Arabie préislamique
Depuis le 19ème siècle, l’opinion dominante est que la foi en un Dieu unique en Arabie trouve ses origines dans les enseignements d’un réformateur religieux du 7ème siècle après Jésus-Christ, Muhammad fils de ʿAbd Allâh, qui est reconnu comme le fondateur de l’Islam. Selon les dires de la tradition érudite arabo-musulmane, les principaux opposants de Muhammad étaient des polythéistes, initialement à La Mecque, et par la suite, à travers toute la péninsule Arabique.
Les témoignages sporadiques de voyageurs étrangers concernant l’Arabie à la fin de l’Antiquité font souvent référence à une communauté juive influente présente au Yémen et dans la partie nord du Hijâz. Ils mentionnent également une présence significative de chrétiens le long de la vallée de l’Euphrate et dans les zones côtières du Golfe Arabo-persique. Parallèlement, ces récits attestent de la continuité des pratiques polythéistes, ce qui a conduit à la prédominance de l’image d’une Arabie essentiellement polythéiste dans les études historiques.
L’exploration archéologique
La quête archéologique en Arabie, lancée dans la seconde partie du XIXe siècle, visait principalement à dénicher des reliques pouvant jeter de la lumière sur les origines de l’islam et sur les incroyables aventures du prophète de cette foi naissante et de ses premiers disciples. Toutefois, les fouilles ont été source de désillusion : pas la moindre trace datant de l’époque de Muhammad, de 560 à 660, n’a été mise au jour. Cette absence de découvertes s’est poursuivie même après la reprise des explorations archéologiques dans les années 1970, laissant la période de l’émergence de l’islam dans l’ombre. Cette ère est certainement marquée par des crises et un chaos généralisé, comme en témoigne la cessation complète des importations, signe d’une pauvreté omniprésente. Cependant, bien que le siècle de Muhammad reste énigmatique, les périodes qui l’ont précédé ne le sont pas. Les artefacts exhumés offrent une perspective totalement nouvelle sur l’Arabie juste avant l’avènement de la prédication de Muhammad.
Ces reliques prennent diverses formes, allant de monuments délabrés à des fragments sculptés issus de ces structures, tels que les chapiteaux gravés de croix provenant de la majestueuse Église de Sanaa. Toutefois, ce sont principalement les innombrables inscriptions épigraphiques qui captivent notre attention, ces écrits gravés dans des matières résistantes telles que la pierre, le bronze ou même la roche. Ces textes anciens nous offrent une fenêtre précieuse sur le passé, nous permettant de toucher du doigt l’histoire durablement inscrite dans la matière.
Lorsqu’on évalue l’importance historique des inscriptions anciennes par rapport aux traditions érudites, qu’elles soient laïques ou religieuses, on constate de notables divergences. Les traditions érudites nous transmettent une suite d’événements qui sont les fondements de notre chronologie et regorgent de réflexions générales qui éclairent sur les figures majeures, les structures et les courants de pensée dominants. Cependant, malgré leur grande valeur pour la compréhension de l’histoire, elles comportent deux défauts significatifs. Premièrement, elles véhiculent exclusivement le point de vue des vainqueurs, et les perspectives des vaincus ne nous parviennent que par de rares contestations, souvent évasives. Deuxièmement, le problème réside dans la manière dont ces récits nous sont parvenus : nous n’avons pas accès aux documents originaux, mais plutôt à des versions altérées, qui ont été étoffées, modifiées et réécrites à travers de nombreuses copies, ou, trop fréquemment, nous ne disposons que de simples résumés ou fragments de ces textes.
Contrairement aux archives historiques, les textes épigraphiques mettent principalement en lumière des personnalités, visant à exalter les succès et la grandeur de ceux qui les ont commandés. Ils omettent volontairement les faits défavorables, tandis que les réalisations favorables au commanditaire sont exagérées. Toutefois, ces textes restent proches de la réalité car un message de propagande trop éloigné de la vérité perdrait en crédibilité et en impact. Les textes épigraphiques se distinguent également par leur brièveté et leur nature allusive, attribuables au coût élevé de leur création. En dépit de leur sélection rigoureuse, les textes épigraphiques ont l’avantage d’être parvenus jusqu’à nous sans altération, témoignant fidèlement des ambitions de leurs auteurs.
L’histoire antique de l’Arabie se distingue par son caractère unique : elle est principalement reconstituée à travers les inscriptions épigraphiques. Cette particularité s’applique également à l’étude de la propagation du monothéisme en Arabie préislamique. En conséquence, nous avons accès à une abondance de détails factuels, tels que les appellations des divinités, qui révèlent des discontinuités historiques. Cependant, il existe un manque de textes théologiques ou mythologiques qui pourraient nous éclairer sur la perception qu’avaient les fidèles du panthéon surnaturel et de ses membres. Pour illustrer cela, nous examinerons l’émergence de la croyance en un Dieu unique, la conversion au judaïsme du royaume de Himyar (380-500), le christianisme de Himyar suite à l’invasion éthiopienne (530-570), ainsi que les appellations du Dieu unique parmi les Arabes juifs et chrétiens. Avant de plonger dans ces sujets, il est utile de se remémorer ce que les inscriptions révèlent sur le contexte politique et culturel de l’Arabie durant la fin de l’Antiquité.
L’Arabie de l’Antiquité tardive : le royaume de Himyar
Les découvertes archéologiques récentes ont révolutionné notre compréhension de l’histoire de la péninsule arabique, en mettant en lumière l’existence d’une entité politique influente : le royaume de Himyar, basé dans l’actuel Yémen. Ce royaume exerçait son influence, de manière plus ou moins directe, sur l’ensemble de la péninsule. Un tournant majeur dans l’histoire de ce royaume fut la conversion de ses monarques au judaïsme autour de l’an 380, suivie par l’éradication progressive du polythéisme, comme en témoignent les inscriptions épigraphiques après l’an 400. Plus tard, suite à la domination des Aksûmites, ou Éthiopiens, qui ont réduit Himyar à un état vassal, le royaume – et par extension toute l’Arabie – s’est converti officiellement au christianisme entre 530 et 570.
Au départ, Himyar n’était qu’une modeste tribu nichée dans les montagnes du Yémen, qui a gagné son indépendance autour du milieu du premier siècle avant notre ère. Vers l’an 300, Himyar a réussi à étendre son emprise sur toute la Sudarabie, s’établissant comme la force dominante de la péninsule Arabique. Pendant le quatrième siècle, les Himyarites ont mené des incursions à travers l’Arabie et ont peu à peu renforcé leur influence, affaiblissant les rois arabes de la vallée de l’Euphrate, alors sous la coupe des Sâsânides. Entre 420 et 440, ils ont conquis l’Arabie centrale et occidentale. Le titre du souverain a été modifié pour refléter cette expansion, proclamant désormais le règne sur “Sabaʾ, dhu-Raydân (Himyar), Hadramawt, le Sud, ainsi que les Arabes des Hautes Terres et du Littoral”. Cette nouvelle titulature marque une réforme significative : Himyar s’est transformé en un empire reposant sur deux piliers fondamentaux, les populations historiques de la Sudarabie et les tribus de l’Arabie désertique, désignées sous le terme “les Arabes”, qui étaient auparavant considérées comme des peuples soumis ou périphériques.
Zafâr, jadis capitale du royaume de Himyar, se dresse à une altitude de 2750 mètres et est désormais un petit village situé à 130 km au sud de Sanʿâʾ. Le palais Raydân servait de demeure royale, raison pour laquelle les princes de Himyar et leur principauté étaient désignés sous le nom de « dhu-Raydân », signifiant « ceux de Raydân ». Les Himyarites utilisaient pour l’écriture le sabaïque, la plus importante parmi les cinq langues anciennes de l’Arabie du Sud. Le sabaïque, bien qu’étant la langue sudarabique la plus similaire à l’arabe, présente des différences notables, comme l’ajout d’une consonne sifflante latérale et l’utilisation d’un article défini postposé, contrairement à l’article préposé en arabe.
Les Himyarites utilisaient un système d’écriture consonantique partagé par les divers peuples de la Sudarabie, désigné sous le terme de « sudarabique ». Cette région se distinguait par l’adoption d’un script unique malgré une grande variété de langues. Cette caractéristique suggère une certaine unité culturelle, comme en témoignent les similitudes dans l’iconographie, l’architecture, la sculpture sur pierre et bronze, et d’autres éléments de leur culture matérielle.
Les Himyarites, habitants montagnards, tiraient leur subsistance principalement de l’agriculture florissante, favorisée par les pluies généreuses de la mousson estivale dans cette région d’Arabie. À Zafar, on enregistrait une moyenne annuelle de précipitations de 500 mm. Contrairement aux Sabéens, dont la richesse reposait sur le commerce caravanier à travers l’Arabie, les Himyarites privilégiaient les voies maritimes. Dès la fin du premier siècle avant notre ère, ils se sont imposés comme les alliés majeurs de Rome dans ce secteur.
Il est établi que Himyar a embrassé le judaïsme et ensuite le christianisme. Cette déclaration est corroborée par deux sources distinctes : d’un côté, les récits des chroniqueurs et hagiographes de l’Empire byzantin, rédigés en grec ou en syriaque, et de l’autre, l’abondance de textes épigraphiques trouvés en Arabie, particulièrement au Yémen. Les souvenirs fragmentaires rapportés par les traditionalistes arabes de l’ère islamique apportent une confirmation partielle à ce fait. Il est important de noter que cette affirmation ne suggère pas l’adhésion de l’ensemble de la population au judaïsme ou au christianisme. Les documents historiques nous renseignent principalement sur les élites au pouvoir et leurs alliés au sein de la haute société.
La crise du polythéisme et les premières mentions du Dieu unique au IVe siècle
Autour de l’année 380, le royaume de Himyar a adopté le judaïsme comme religion. Cette conversion marquait un changement profond, une rupture définitive avec les traditions antérieures, y compris l’abandon du culte des divinités ancestrales. Ce tournant historique n’était pas un événement isolé, mais plutôt le point culminant d’une crise prolongée qui avait commencé à se manifester dès le IIIe siècle après Jésus-Christ.
Dans les contrées imprégnées d’un riche héritage culturel, la perception de la divinité s’est transformée en écho aux évolutions sociales. Les divinités, autrefois envisagées à la ressemblance des êtres humains et honorées collectivement au sein de rituels cérémonieux, cédaient la place à des entités supérieures et transcendantes, personnalisables et vénérables selon les préférences personnelles. La croyance individuelle et les actions personnelles prenaient le pas sur les pratiques rituelles, jugées impartialement par les entités célestes qui dictaient le destin de chacun. Cependant, en l’absence de preuves tangibles de récompense ou de punition dans la vie terrestre, s’est ancrée l’idée que ces dernières se manifesteraient lors d’un jugement post-mortem, présupposant ainsi une résurrection et une existence ultérieure.
Ces changements sont perceptibles au sein du judaïsme tant avant qu’après la destruction du second Temple en l’an 70 de notre ère, et s’étendent à travers tout l’Empire romain. La transition s’est produite au cours du IVe siècle, marquée par trois moments clés : les édits de tolérance promulgués au début du siècle, l’adoption du christianisme en tant que religion impériale sous le règne de Constance II (337-361), et ultimement, l’établissement du christianisme comme religion officielle de l’empire vers la fin du siècle.
Ce qui ressort de manière frappante tant dans le royaume de Himyar que de l’autre côté de la mer Rouge, en Éthiopie, c’est la synchronicité des évolutions avec celles du monde méditerranéen, tant en termes d’époque que de cadence. Cela démontre clairement que l’Arabie n’était pas le territoire coupé du monde, pauvre et sous-développé que certains pourraient le penser, mais plutôt une zone en marge, profondément intégrée et connectée économiquement et culturellement avec le monde méditerranéen.
Au commencement du 4ème siècle, la population himyarite pratique encore le polythéisme, c’est-à-dire la croyance en plusieurs divinités. L’emploi du terme “polythéiste” est à privilégier pour décrire ces croyances religieuses, car il est exempt de connotation péjorative contrairement au terme “païen”. Ce dernier, issu du mot latin “pagus” qui désigne la campagne, porte en lui l’idée d’une supériorité des citadins, perçus comme plus avancés et modernes, sur les ruraux, considérés comme restant fidèles à d’anciennes croyances superstitieuses.
Au début du IVe siècle, l’existence du polythéisme à Himyar est attestée par trois inscriptions royales. Ces textes anciens documentent des offrandes faites à une divinité polythéiste, ainsi que des appels à plusieurs dieux. Ces découvertes archéologiques fournissent une preuve concrète de la pratique religieuse diversifiée qui prévalait dans la région à cette époque.
Au cours du IVe siècle, divers signes révèlent une période de turbulence. Notamment, on observe qu’aucune nouvelle inscription royale n’a été commandée pendant presque un siècle, de 300 à 380. Cela pourrait suggérer un manque de consensus parmi l’élite dirigeante concernant la direction religieuse à adopter. Cette hypothèse est renforcée par deux exemples historiques. Premièrement, dans la principauté théocratique islamique établie par Muhammad à Médine en 622, il faut attendre 691-692 (soit 72 ans après l’Hégire) pour voir apparaître la première inscription officielle, une latence due à l’absence d’un accord sur la façon de faire référence à Dieu, sur la mention de Muhammad et sur le titre à donner au souverain. Deuxièmement, la Révolution française de 1789 offre un parallèle similaire, avec une rareté notable des inscriptions révolutionnaires, reflétant également des divergences internes.
Un autre signe de la crise religieuse peut être observé à travers les prières mentionnées dans les écrits qui célèbrent des projets de construction ou de rénovation. Il apparaît que seulement la moitié de ces documents continuent de faire appel à un ensemble de dieux. Dans 25% des cas, le panthéon polythéiste cède sa place à un seul dieu, et dans les 25% restants, les mécènes choisissent de ne pas faire appel à des entités surnaturelles, une pratique qui était autrefois rare.
À la même période, on assiste à une baisse inexorable de la fréquentation des temples dédiés à plusieurs dieux. Cela est clairement illustré par un recensement des dernières inscriptions trouvées dans ces lieux de culte : il apparaît que les offrandes y cessent d’être faites entre le troisième et le quatrième siècle. Le Grand Temple sabéen de Marib se distingue particulièrement, en raison de son importance en tant que lieu de culte partagé par toutes les communautés sabéennes et du volume considérable de textes qui y ont été retrouvés, avec environ 800 inscriptions datant d’après le début de notre ère. Bien que le nombre de dédicaces diminue au quatrième siècle par rapport au siècle précédent, elles restent tout de même assez nombreuses. La toute dernière inscription connue remonte à 379-380 après Jésus-Christ. On peut donc déduire que l’aristocratie sabéenne arrête de fréquenter ce temple aux alentours de l’an 380, avec une petite marge d’erreur. Il est probable que le temple ait été fermé à cette époque ou peu de temps après, à moins qu’il n’ait été converti en synagogue.
L’avènement d’une ère inédite se manifeste par des innovations marquant une discontinuité avec le passé. Les prières adressées à plusieurs divinités cèdent la place à l’adoration d’une entité suprême singulière. Cette entité est désormais invoquée sous de nouveaux noms, inusités jusqu’alors. Elle est honorée dans des structures nommées mikrâb, expression récente signifiant « lieu de bénédiction », en contraste avec les anciens temples (bayt) ou sanctuaires (mahram) dédiés au culte polythéiste. Ces transformations s’accompagnent également d’emprunts linguistiques à l’araméen.
La transition s’est produite dans les années précédant janvier 384. À ce moment-là, le monarque de Himyar, accompagné de ses deux co-régents, a célébré l’achèvement de deux palais et a terminé leur inscription avec une prière au Dieu unique. Cela marque l’annonce officielle de la conversion des rois à une nouvelle foi, renonçant ainsi au polythéisme. Peu avant cette date, le même dirigeant, avec seulement un co-régent, avait déjà commandé la construction d’un mikrâb.
Le nom du Dieu unique dans les premières inscriptions « monothéistes » (320-380)
Dans la tradition polythéiste, les divinités portent généralement des noms distincts tels que ʿAthtar ou Almaqah. Elles peuvent également être identifiées par des expressions descriptives telles que « Celui des Cieux », connu sous le nom de dhu al-Samâwî, ou par des termes familiaux tels que « Oncle » (ʿAmm), ou encore par des attributs comme « la Puissante » (al‑ʿUzzà). Un nom particulièrement fascinant est celui d’al-’Ilâh, signifiant « le Dieu », qui a évolué pour devenir al-Lâh, et finalement Allâh, le nom du Dieu de l’islam et vraisemblablement celui adopté par les chrétiens arabes du sixième siècle.
Concernant le concept du Dieu unique, les inscriptions anciennes ne lui attribuent pas de nom spécifique, laissant à chacun la liberté de le nommer à sa guise. Parmi les cinq inscriptions datant d’avant la conversion de l’an 380, on découvre quatre appellations différentes :
– « Dieu », sous le nom de ʾÎlân (mentionné une fois)
– « Dieu, propriétaire du Ciel », ou ʾÎlân baʿal Samayân (mentionné trois fois)
– « Propriétaire du Ciel », connu sous le nom de Baʿal Samayân (mentionné une fois)
– « Seigneur du Ciel », appelé Maraʾ Samayân (mentionné une fois).
Les mécènes de ces inscriptions dites « monothéistes » étaient des figures de proue, soit en lien étroit avec le pouvoir en place, soit membres de l’aristocratie locale, principalement situés dans les régions de Sanʿâʾ au nord et d’al‑Baydâʾ au sud.
Les noms de Dieu dans les inscriptions après la conversion de Himyar au judaïsme (vers 380)
Suite à leur conversion au judaïsme, les croyants ont continué à invoquer Dieu sous diverses appellations, souvent variées au sein d’un même document. Il est couramment mentionné par une combinaison de deux termes : un titre générique suivi d’une courte périphrase qui précise son domaine de puissance. Cependant, dès l’an 420, ce titre générique est progressivement supplanté par le terme spécifique de Rahmânân. Parmi les titres génériques employés, on trouve :
• ʾÎlân, qui signifie « le Dieu » dans le dialecte sabaéen de Himyar ;
• ʾIlâhân, qui se traduit par « le Dieu » en langue sabaéenne de Sabaʾ ;
• et dans un cas, Aʾlâhân, qui signifie « les Dieux », et qui est une adaptation directe du mot hébreu Elôhîm.
Le deuxième élément est une courte périphrase, par exemple :
• « le Détenteur des Cieux », Baʿal Samâyân ;
• « le Souverain des Cieux », Maraʾ Samâyân ;
• « le Souverain des Cieux et de la Terre », Maraʾ Samâyân wa-Ardân ;
• « Celui qui possède les Cieux et la Terre », Dhu la‑hû Samâyân wa-Ardân ;
• « le Divin d’Israël », ʾIlâh Yisraʾîl ;
• « le Guide des Juifs », Rabb Yahûd.
Les diverses appellations réparties dans les catégories d’inscriptions sont équivalentes et peuvent être utilisées de manière interchangeable. Dieu, à l’origine considéré comme une entité céleste, est vite perçu comme détenant le pouvoir sur le Ciel et la Terre. Le terme spécifique qui vient peu à peu remplacer l’appellation générale, Rahmânân, évoque la notion de “miséricorde”. Au départ, dans le judaïsme, un tel attribut n’était pas couramment lié à la conception de Dieu ; c’est uniquement durant l’Antiquité tardive que cette caractéristique se manifeste sous le nom de Rahmânâ, un théonyme courant dans le Talmud de Babylone, moins fréquent dans celui de Jérusalem, mais aussi présent dans les Targums et l’épigraphie des synagogues. Ce même théonyme est aussi trouvé dans le contexte christo-palestinien et en langue syriaque, bien que son usage y soit exclusivement lié aux chrétiens himyarites.
Au sein du royaume de Himyar, le terme Rahmânân est souvent accompagné d’un descriptif. Par exemple, dans un manuscrit certainement de tradition juive daté de juillet 523 (référence ci-dessous), il est désigné comme le « Très-Haut ». Dans d’autres contextes, on lui associe l’adjectif « miséricordieux » (mutarahham), trouvé dans un document dont la tradition religieuse n’est pas clairement définie, pouvant être soit juive, soit chrétienne. Cette appellation, Rahmânân mutarahham, trouve son équivalent en arabe islamique dans l’expression al-Rahmân al-rahîm. De plus, dans un écrit possiblement influencé par le judaïsme mais issu de l’ère chrétienne, on trouve la mention de « Rahmânân le Roi ».
Dans le document juif précédemment mentionné et datant de juillet 523, une autre appellation de Dieu est utilisée : « Louangé », sous le nom de Muhammad (ou Mahmûd). Ce théonyme est particulièrement intéressant de par sa ressemblance frappante avec le nom du prophète de l’islam (racine HMD), bien que les raisons de cette similitude restent inexpliquées.
Pour mieux comprendre comment les Himyarites juifs faisaient référence à Dieu, il semble pertinent de présenter deux exemples concrets.
La première inscription, finement gravée, ornait un palais dans la capitale. Elle fut commandée par un juif de la diaspora qui avait rejoint le service d’un souverain himyarite. Datant d’aux alentours de l’an 400 de notre ère, le texte proclame :
Yahûdaʾ Yakkuf a érigé, établi les fondations et achevé son palais Yakrub, depuis les bases jusqu’au faîte, par la bienveillance et la faveur de son Dieu qui l’a façonné, le Dieu des êtres vivants et défunts, le Dieu des cieux et de la terre, le créateur de toute chose, avec les prières de sa nation Israël, et le soutien de son seigneur Dharaʾamar Ayman, monarque de Sabaʾ, de dhu-Raydân, du Hadramawt et des contrées australes.
Le document mentionné précédemment, datant de juillet 523, a été inscrit sur une pierre du désert par le commandant d’une force militaire dépêchée par Joseph, le roi juif himyarite, pour apaiser l’insurrection des chrétiens pro-byzantins à Najrân. Des bénédictions encadrent le texte, débutant et concluant celui-ci :
Puisse le Dieu des Cieux et de la Terre accorder sa bénédiction à Yûsuf Asʾar Yathʾar, souverain de toutes les communautés, ainsi qu’aux nobles Lahayʿat Yarkham, Sumûyafaʿ Ashwaʿ, Sharahʾîl Yaqbul, et Shurihbiʾîl Asʿad, descendant de Shurihbiʾîl Yakmul, de la lignée de Yazʾan et Gadan…
…Que Rahmânân bénisse également leurs descendants, Shurihbiʾîl Yakmul et Haʿân Asʾar, fils de Lahayʿat, de même que Lahayʿat Yarkham, progéniture de Sumûyafaʿ, et Marthadʾilân Yamgud, rejeton de Sharahʾîl, issus de la maison de Yazʾan, en ce mois de dhu‑madhraʾân {juillet} 633. Que cette stèle demeure sous la sauvegarde du Ciel et de la Terre, ainsi que sous la vigilance humaine, à l’abri de tout acte de vandalisme, et que Rahmânân le Très-Haut la préserve de toute destruction… Ce texte a été consigné, rédigé et authentifié au nom de Rahmânân par le scribe de Tamîm dhu‑Hadyat, maître des juifs, en l’honneur du Louangé (Muhammad).
Retrouvez la suite de cette étude thématique dans la partie 2 de notre article.