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    Histoire du Coran Partie 7 : Lire, traduire, Imprimer

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    Les dossiers du Coran – Lire, Traduire, Imprimer

    Le Coran, initialement propagé par la tradition orale à travers lectures et récitations, n’a été consigné sous forme écrite qu’à partir du 19ème siècle. Cette période marque un tournant où l’accent a été mis sur la démocratisation de l’accès au texte sacré pour les croyants, favorisant ainsi l’utilisation de l’impression. Par conséquent, l’aspect physique du livre, dans toutes ses spécificités, a acquis une importance équivalente à celle du contenu lui-même.

    Selon la croyance islamique, les enseignements divins ont été transmis en langue arabe aux fidèles par l’entremise de l’ange Gabriel, connu sous le nom de Djibril, au dernier messager de l’Islam, Muhammad. Pour une grande partie des croyants, le Coran constitue une partie intemporelle de la divinité, existant bien avant la création du monde. Cette conception unique du Coran, souvent désigné comme le livre d’Allah (kitab Allah), justifie l’attention minutieuse portée à sa psalmodie, terme qui, en arabe, se traduit littéralement par récitation ou lecture. Cela souligne également l’importance de sa préservation, à travers la tradition orale et écrite, et le respect profond accordé à ses manuscrits, appelés mushaf, ou le Coran sous forme de livre.

    I. Un texte récité

    Dans la tradition de l’éducation islamique, l’approche du Coran était entourée de nombreuses mesures de prudence, et son interprétation, souvent réservée à un petit cercle d’érudits, ne venait qu’après une mémorisation complète du texte. Pour la plupart des croyants, seule la version orale récitée était accessible. L’objectif de la transcription écrite du Coran était principalement de garantir une récitation précise (en utilisant des signes de ponctuation ou des indicateurs de fin de verset, par exemple) et de prévenir toute altération du texte.

    L’utilisation de l’écriture, qui remonte à la deuxième moitié du 7ème siècle, a également joué un rôle dans l’établissement d’une version unique et officielle du Coran. Avec l’agrandissement de l’empire islamique aux 7ème et 8ème siècles, les manuscrits du Coran, rédigés en arabe, se sont rapidement multipliés. Les caractéristiques propres à l’écriture arabe ont eu un impact significatif sur la transmission du Coran : par défaut, l’arabe scriptural ne représente que les consonnes, laissant ainsi place à différentes interprétations lors de la lecture du texte. À l’origine, le texte coranique n’était pas vocalisé (seules les voyelles longues étaient indiquées), ce qui entraînait des variations dans la récitation dues aux dialectes locaux. C’est pourquoi un système de vocalisation de l’arabe a été progressivement développé pour la récitation, contribuant ainsi à la stabilisation du texte coranique.

    Au dixième siècle, le mécanisme de vocalisation que nous connaissons actuellement avait été mis en œuvre, permettant ainsi au Coran d’être récité par toute personne maîtrisant l’alphabet. Sept méthodes de lecture canoniques, appelées qiraat, ont été définies, englobant les variations autorisées. Cela a conduit à une standardisation de la récitation du Coran. De nos jours, la tradition sunnite accepte dix méthodes de lecture distinctes.

    Remarque : Quelques définitions

    Mushaf : Expression arabe faisant référence à une copie du Coran. Chaque exemplaire du Coran est tenu pour sacré par la communauté musulmane.

    Qari : Un narrateur du Coran, qui maîtrise le texte sacré par mémorisation. Plusieurs éminents qari se distinguent par leur style unique de psalmodie du Coran.

    En somme, une multitude de versions existent, cependant uniquement sept interprétations au dixième siècle, et par la suite dix au quinzième siècle, ont été reconnues comme officielles.

    II. Le temps des copistes

    Pendant longtemps, l’accès des musulmans au Coran se limitait principalement à sa transmission orale, basée sur une version écrite standardisée et méticuleusement préservée par des scribes dévoués. Ces derniers, véritables sentinelles de la fidélité du texte, formaient un groupe influent et tiraient un revenu substantiel de la reproduction et de la propagation des textes coraniques écrits.

    Initialement, le Coran était transcrit en fragments sur divers supports tels que des plaques de pierre, des omoplates de chameau, ou encore des rouleaux de cuir, avant de passer au papyrus et au parchemin. La datation précise des plus anciens fragments préservés, basée sur la paléographie et l’orthographe, demeure incertaine. Il est probable que les premiers exemplaires complets du Coran qui nous sont parvenus datent du IXe siècle. Ces manuscrits étaient conçus sous forme de codex, c’est-à-dire des livres faits de feuilles pliées et cousues ensemble. Dès le Xe siècle, le papier commença à remplacer le parchemin et le papyrus dans la partie orientale de l’empire islamique, tandis que le parchemin restait en usage au Maghreb et en Espagne jusqu’au XIVe siècle.

    Au fil des siècles, les manuscrits coraniques ont conservé des caractéristiques matérielles stables, telles que la division en sourates et en sections (juz), ainsi que le marquage des versets, facilitant ainsi la récitation. La lecture ininterrompue du Coran, jour et nuit, était une pratique courante dans certaines mosquées et près de certains mausolées. Depuis au moins la seconde moitié du IXe siècle, il est également courant de mettre à disposition des fidèles des copies du Coran dans le cadre de fondations charitables (waqf).

    Les méthodes de rédaction et l’ornementation des feuilles du Coran diffèrent en fonction des périodes historiques et des régions. À partir du septième siècle, la langue arabe a exercé une influence significative sur les expressions artistiques. Ces embellissements, qui incluent la calligraphie, l’illustration et le chant psalmodique, visent à glorifier le discours d’Allah et à établir un lien avec le sacré. Il existe sept styles principaux de calligraphie reconnus.

    Illustration – Apprentissage : Sur cette page d’un manuscrit du Coran (Grenade, 1304) figurent des marques de fin de verset et de pause pour le récitant. Les écoles coraniques se servent de tablettes en bois comme support (en haut, Maroc, 2015).

    Le Coran est vénéré par la communauté musulmane comme une écriture sainte révélée, transmise en langue arabe. Traditionnellement, il est récité uniquement dans cette langue lors des pratiques liturgiques. Cependant, avec l’expansion de l’islam au-delà des régions arabophones à la suite des conquêtes arabes, des traductions du Coran ont été réalisées dans diverses langues et systèmes d’écriture. Par exemple, des versions en persan sont apparues dès le 10ème ou 11ème siècle, suivies par des transcriptions en berbère au 12ème siècle dans le Maghreb, promues par les Almohades, et plus tard, des transcriptions en caractères hébraïques ont été produites entre le 13ème et le 19ème siècle.

    Pierre le Vénérable et « l’erreur mahométane »

    Illustration : Dans cette illustration médiévale datant du XIIIe siècle, on observe Pierre le Vénérable en discussion avec ses disciples. Il est reconnu pour avoir initié la première traduction du Coran en langue latine, une démarche visant à approfondir la compréhension de l’islam pour en débattre avec plus d’efficacité.

    Durant les croisades, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny entre 1122 et 1156, se distingue en cherchant à affronter l’islam par le débat d’idées plutôt que par le conflit armé. Lors d’une visite de contrôle en Espagne en 1141, il est préoccupé par l’incapacité des chrétiens locaux, qui ne parlent que leur langue maternelle, à comprendre et à contrecarrer ce qu’il considère comme les erreurs de l’islam. À son retour, il charge deux moines, experts en écrits scientifiques arabes, Robert de Kenton et Hermann le Dalmate, aidés par un musulman nommé Mohammed, de traduire des textes islamiques. Leur travail aboutit à la première version du Coran en latin, intitulée Lex Mahumet pseudoprophete. Bien que cette traduction prenne certaines libertés par rapport à l’original, elle représente néanmoins une réalisation significative dans les domaines philologique et poétique, offrant aux érudits chrétiens du Moyen Âge un premier aperçu de la doctrine islamique.

    III. Les premières traductions

    Au cours du Moyen Âge en Europe, dominée par le christianisme, des traductions latines du Coran furent élaborées principalement pour en faciliter la critique. La toute première de ces traductions vit le jour au XIIe siècle, initiée par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Par la suite, le texte sacré fut traduit dans d’autres langues majeures d’Europe par des spécialistes de l’Orient. Ces versions étaient destinées à un auditoire cultivé, en particulier en Italie, où le Coran était souvent vu comme un ouvrage mystérieux ou même occulte. En France, c’est en 1647 qu’André Du Ryer offrit la première traduction française du texte. Cependant, ces traductions altèrent inévitablement le message original et sont donc perçues par la communauté musulmane non pas comme des copies fidèles, mais plutôt comme des interprétations.

    Les docteurs de la Loi craignaient que la parole de Dieu ne soit altérée par sa reproduction technique

    Parallèlement, des impressions partielles du Coran en arabe commencèrent à être publiées en Europe, avec des éditions notables en Italie entre 1537 et 1538. Une version complète fut ensuite imprimée à Hambourg en 1694, suivie par d’autres à Padoue en 1698 et à Saint-Pétersbourg en 1787. Mis à part cette dernière édition, patronnée par Catherine II de Russie et assistée par le mollah Uthman Ismaïl, ces publications étaient principalement destinées à un lectorat chrétien, érudit ou engagé dans la controverse religieuse, qui jusqu’alors n’avait pas eu accès au texte dans sa langue originale.

    IV. On n’imprime pas le Coran !

    Nombre de ces publications européennes, de qualité médiocre, comportaient des erreurs, à l’instar de plusieurs ouvrages produits en Europe durant la Renaissance. Ces éditions provoquèrent l’indignation des érudits musulmans, ce qui contribua à consolider un rejet doctrinaire de l’impression du Coran dans le monde islamique, persistant jusqu’au XIXe siècle. L’élite des ulémas, soit les juristes religieux, redoutait que la reproduction mécanique ne dénature le message divin et que l’uniformisation des textes imprimés ne perturbe le mode traditionnel de transmission des connaissances, pilier de leur autorité. Les sultans Bayazid II, en 1485, et Selim Ier, en 1515, interdirent l’impression de textes en caractères arabes à travers l’Empire ottoman.

    Cette interdiction ne s’appliquait pas aux sujets juifs, autorisés à imprimer en caractères hébraïques, ni aux chrétiens d’Orient, qui utilisaient déjà l’imprimerie dans ces territoires depuis le début du XVIIe siècle. En 1726, la première imprimerie destinée aux musulmans ouvrit à Constantinople. Une autre fut établie à Gizeh, près du Caire, par Bonaparte entre 1798 et 1801, et plus tard, sous Mehmet Ali, dans le district de Bulaq en 1822. Cependant, ces ateliers n’avaient pas le droit d’imprimer le Coran. Ainsi, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la grande majorité des musulmans continua de favoriser la récitation orale du Coran, tandis que les manuscrits demeuraient l’apanage des élites et des juristes religieux.

    Cette réticence à l’égard de l’imprimerie s’accompagnait d’une controverse qui remonte au Moyen Âge, concernant la légitimité de transformer le texte sacré en marchandise. Pour les conservateurs, le Coran représente un patrimoine inestimable, trop sacré pour être échangé dans le cadre du commerce sans provoquer un tollé. Néanmoins, de multiples récits relatant les tarifs onéreux des œuvres de calligraphes renommés révèlent que le commerce des manuscrits coraniques est une pratique ancienne.

    Remarque : Quelques définitions

    Doctrine de l’inimitabilité : Ijaz en arabe. Selon cette doctrine, le texte révélé en langue arabe à Muhammad ne peut être traduit dans une autre langue sans perdre sa valeur sacrée.

    Uléma : De l’arabe ulama, pluriel d’alim, « savant ». Dans l’Islam classique, et jusqu’à nos jours dans les milieux traditionalistes, désigne tous les savants en sciences religieuses, sciences qui se polarisent sur le droit musulman (fiqh) et ses sciences auxiliaires comme l’exégèse. Les docteurs de la Loi, juristes et théologiens, supplantent, à partir du ixe siècle, l’autorité des califes en matière de religion et de justice.

    V. 1647 : La première traduction en français (Joël Cornette
    Professeur émérite à l’université Paris-VIII-Vincennes-Saint-Denis)

      Illustration : Édition de 1734 de la première traduction du Coran en français,
    réalisée un siècle plus tôt par André Du Ryer.

    André Du Ryer, né aux alentours de 1580 et décédé vers 1672, est reconnu comme le premier individu à avoir réalisé la traduction de l’œuvre fondatrice de l’islam en langue française, en s’appuyant directement sur le texte original arabe. Avant lui, des traductions en langue castillane étaient accessibles en Europe depuis le XIVe siècle, mais elles n’ont été conservées qu’en partie, contrairement à son ouvrage intitulé “Alcoran de Mahomet”. Expert en turc et en arabe, Monsieur de La Garde-Malezair avait une connaissance approfondie du Levant. Cette expertise provenait de son expérience en tant que vice-consul en Égypte de 1623 à 1626, et par la suite, en 1631, il fut sélectionné pour servir d’interprète et de conseiller auprès du nouvel ambassadeur de Louis XIII, roi de France, à Constantinople.

    Vers la fin des années 1630, Du Ryer consacra beaucoup de temps dans son domaine bourguignon. C’est dans ce cadre qu’il élabora son œuvre, avec l’appui de maronites parisiens, des fidèles de l’église catholique d’Orient. Grâce à un privilège royal empêchant la contrefaçon, sa traduction vit le jour en 1647. La préface succincte positionne le travail dans une tradition de critique ancienne. L’auteur alerte le lecteur : « Tu seras surpris que de telles inepties aient pu séduire une grande partie du monde et tu reconnaîtras que comprendre le contenu de ce livre rend cette Loi indigne de respect. » Néanmoins, dans une démarche innovante, il présente le texte brut, dépourvu de commentaire, permettant au lecteur de juger librement : chaque sourate est introduite par son titre, le décompte de ses versets et son origine de révélation, qu’elle soit mecquoise ou médinoise.

    Le traducteur n’a pas résisté à l’envie d’adapter sa traduction aux concepts chrétiens : ainsi, le masjid (mosquée) est transformé en temple, la prière musulmane quotidienne en prière et le concept islamique de la volonté divine qui détermine la fin de vie des individus en une notion ressemblant fortement à la prédestination calviniste, affirmant que Les hommes ne peuvent trépasser sans son consentement, à un moment défini et prédéterminé. En dépit des interdictions (l’Alcoran a été proscrit par le Conseil de conscience, sous l’influence de Vincent de Paul), l’ouvrage a connu un succès fulgurant, étant réédité dès 1649 et par la suite dans d’autres territoires hors du royaume, comme à Leyde (1672), La Haye (1683), et Amsterdam (1770). Peu après, de nombreux pays européens ont souhaité obtenir leur propre traduction dans leur langue vernaculaire, souvent en se basant non pas sur le texte arabe original mais sur la traduction de Du Ryer, comme ce fut le cas en Angleterre (1649), aux Pays-Bas (1658), dans le Saint Empire (1688), et en Russie (1716).

    La traduction de Du Ryer fut éclipsée par l’apparition d’une traduction plus récente en 1783, réalisée par Claude-Étienne Savary (1750-1788). Savary lui-même était profondément impressionné par le talent de Muhammad, cet homme remarquable qui a réussi à libérer les Arabes de leur pratique idolâtre en leur inculquant, à travers le Coran, une éthique basée sur les principes de la loi naturelle et adaptée aux sociétés des régions arides.

    VI. L’ère de la lithographie

    Au cours du 19ème siècle, marqué par l’impérialisme européen et une période où l’Islam était confronté à la pression des missions catholiques et protestantes, les musulmans se sont tournés vers les techniques d’impression modernes pour propager plus efficacement le Coran.

    La lithographie, une méthode d’impression utilisant des plaques de pierre calcaire plutôt que des caractères d’imprimerie mobiles, est devenue prédominante. Elle offrait aux scribes la possibilité de maintenir l’art de la calligraphie dans la reproduction des textes coraniques, garantissant ainsi la fidélité aux manuscrits originaux tout en protégeant les intérêts de leur profession. Une lithographie de qualité pouvait même être confondue avec un manuscrit original.

    Les premières presses lithographiques n’incorporaient pas de couleur dans le texte ou les illustrations du frontispice, visant plutôt à rendre le Coran plus accessible et à en étendre la distribution parmi les classes populaires. Les fidèles dans les grandes villes impériales avaient désormais la possibilité d’étudier le Coran de manière autonome. Ils étaient également en mesure d’indexer et d’analyser le texte avec précision, de consulter d’autres œuvres imprimées, et ainsi de comparer et de critiquer les textes traditionnels. Cela a permis de discerner les divergences entre les différentes écoles de pensée et de promouvoir une compréhension de l’Islam basée sur un retour aux sources. Cette nouvelle capacité d’accès et d’analyse textuelle a joué un rôle clé dans l’émergence de mouvements réformistes musulmans, qui ont utilisé l’imprimé dès le 19ème siècle pour renforcer la dévotion religieuse.

    VII. 1924 : le « Coran du roi »

    Face à l’augmentation des reproductions du Coran, les érudits d’Al-Azhar, l’éminente mosquée et université du Caire qui était devenue la référence suprême de l’islam sunnite durant la période ottomane, décrétèrent la saisie de ces copies, invoquant la présence de fautes. Sur ordre du roi Fouad (1917-1936), une commission constituée de distingués intellectuels de la religion fut chargée d’élaborer une nouvelle version imprimée du Coran, officielle cette fois-ci. Dénommée « Coran du roi », cette édition fut publiée en juillet 1924, quelques mois seulement après la suppression du califat ottoman, à un moment où le khédive (monarque d’Égypte) s’efforçait d’accroître la légitimité religieuse de son règne.

    Cette publication du Caire respecte l’orthographe de la Vulgate (longtemps attribuée à Uthman, mais qui semble avoir été établie durant le règne d’Abd al-Malik vers la fin du 7ème siècle, voir p. 32) et suit le système de récitation Hafs, connu pour sa simplicité. Imprimée en millions d’exemplaires, principalement au Caire, à Beyrouth et à Damas avant le conflit syrien, elle figure parmi les plus diffusées dans le monde islamique. D’autres versions ont émergé, se distinguant par un style calligraphique et une méthode de récitation propres. Par exemple, l’Arabie saoudite, suivant le wahhabisme (une interprétation stricte parmi les quatre écoles de l’islam sunnite), a édité à Médine sous le règne du roi Fahd (1982-2005) un Coran distinct, tant par son esthétique calligraphique que par sa technique de récitation, différent du Coran du roi.

    Illustration – Le Coran du roi 1924 :
    L’abolition du califat ottoman en mars 1924 bouleverse le monde
    musulman. Le roi d’Égypte Fouad (ci-contre vers 1920), qui a fait accéder son pays à l’indépendance en 1922, fait paraître en juillet 1924 une version officielle et imprimée du Coran, qui doit renforcer la légitimité religieuse de son pouvoir.

    Ce dernier a été distribué gratuitement en millions d’exemplaires à travers le monde. Aujourd’hui, l’édition de Médine prévaut sur celle du Caire. En réponse, afin de consolider la tradition malékite et acharite qui sont la base de son autorité religieuse, le roi du Maroc Mohammed VI a lancé en 2011 une version nationale du Coran, adoptant cette fois la récitation Warsh et le style calligraphique maghrébin. Produite annuellement par centaines de milliers, cette édition est également distribuée sans frais dans les mosquées et les écoles coraniques du royaume, ainsi que dans d’autres nations, notamment en Afrique de l’Ouest, tel que le Sénégal.

    Au cours du 20e siècle, l’accroissement de la population immigrante musulmane à travers le monde a incité nombre d’entre eux à entreprendre la traduction du Coran dans les idiomes de leurs nations d’adoption. Simultanément, les missionnaires de l’Islam ont redoublé leurs efforts pour augmenter la diffusion de versions traduites du Coran, ciblant particulièrement les régions au sud du Sahara. À l’avant-garde de cette initiative se trouve le « Complexe du roi Fahd pour l’impression du Noble Coran » à Médine, qui s’impose comme un point de référence essentiel. Ce complexe effectue des traductions du Coran en 44 langues différentes, incluant 23 langues asiatiques, 11 langues africaines et 10 langues européennes, toutes basées sur l’édition officielle. Ces versions, caractérisées par une typographie soignée et une reliure de haute qualité, sont bilingues et certaines offrent même des annotations additionnelles.

    VIII. Mille objets pour un texte

    La fabrication des exemplaires du Coran suit généralement un ensemble de règles établies dans les années 1920 par l’institution d’Al-Azhar. Ces règles stipulent que des érudits religieux, les ulémas, doivent superviser le processus à chaque phase. Cependant, l’application de ces règles varie selon les lois de chaque pays. Par exemple, alors que cette pratique est courante en Égypte et en Arabie saoudite depuis plus de cinquante ans, elle n’était pas en place au Maroc avant 2011.

    Le Coran, étant un texte révélé, ne tolère aucune altération. Ainsi, l’unicité d’une copie du Coran imprimée réside dans ses aspects matériels, tels que la finesse de ses illuminations et la beauté de sa calligraphie. Les artistes spécialisés qui contribuent à ces œuvres jouissent de droits spécifiques liés à la production et à l’écriture. De nos jours, presque tous les Corans imprimés dans le monde sont d’abord écrits à la main, puis numérisés, retouchés et finalement imprimés, après une vérification et certification rigoureuses pour garantir la précision du texte. Ces méthodes modernes de production rappellent la technique de la lithographie, permettant de préserver les attributs physiques des manuscrits anciens, y compris les signes de vocalisation qui facilitent la lecture et la psalmodie du Coran jusqu’à aujourd’hui.

    Illustration Décoratif : Ce bol du xviiie siècle décoré de sourates provient de Gingdezhan, la capitale chinoise de la porcelaine (Limoges, musée national Adrien Dubouché).

    Habituellement, dès leur jeune âge, les enfants musulmans reçoivent de leurs parents leur premier exemplaire du Coran, appelé mushaf. Ce rituel se poursuit tout au long de leur existence, marquant des événements significatifs tels que les anniversaires, les déménagements, les mariages ou la réussite académique. Le geste de donner un mushaf peut provenir de proches ou de connaissances plus éloignées, visant à établir ou renforcer des liens sociaux.

    C’est au xixe siècle que les musulmans adoptèrent l’impression pour accélérer la diffusion du Livre saint

    La présentation d’un mushaf peut varier grandement, reflétant le type de lien que l’on souhaite maintenir avec le texte sacré. Certains préfèrent conserver leur Coran à portée de main, tandis que d’autres optent pour des versions plus accessibles ou dédiées à l’étude. Les formats disponibles sont multiples, allant de la version miniature à la grande édition, avec ou sans reliure, et parfois protégés par un étui en velours ou en cuir, certains munis d’une fermeture éclair. Les éditions miniatures, qui se logent dans la paume de la main, peuvent être emportées partout, accrochées dans une voiture ou glissées sous un oreiller, servant de porte-bonheur ou de talisman. Les formats petits et moyens, conçus pour la lecture, sont les plus populaires et existent en diverses qualités de papier, du jaune courant en Afrique de l’Ouest au blanc, en passant par le papier chamois.

    Illustration – Al-Azhar :  L’université al-Azhar, au Caire, en Égypte, forme les ulémas. Cette institution inaugurée en 972 a d’abord été une institution chiite ; elle est considérée depuis l’époque ottomane comme la plus haute autorité de l’islam sunnite.

    IX. L’ère du numérique

    La finition de la couverture d’un livre, qui a pour but premier la préservation et la sauvegarde de l’œuvre, présente une grande diversité. Les couvertures les plus répandues sont en carton, souvent recouvertes de cuir teinté en vert, rouge ou bleu, bien que ce matériau tende à être de plus en plus souvent substitué par du Skaï. Certaines éditions plus luxueuses arborent des couvertures en bois, ornées des noms divins, conférant ainsi à l’ouvrage un aspect plus traditionnel. D’autres versions peuvent être agrémentées de gemmes ou de motifs en silicone. Les éditions de luxe, généralement destinées à être offertes, sont parfois présentées dans des écrins élaborés, prenant la forme d’une boîte, d’une maison, ou même d’un navire.

    On fabrique aujourd’hui des livres du Coran munis d’un stylo électronique audio récitant les versets choisis

    L’avènement des technologies modernes a donné naissance à des éditions de textes sacrés aux pages odorantes, à des corans électroniques consultables sur smartphones ou tablettes, et même à des corans associés à un stylo électronique qui, posé sur une page, en récite les versets, une innovation particulièrement adaptée pour les personnes illettrées.

    À savoir – Sur le Net : Coran 12-21
    Initié par une équipe de chercheurs et ingénieurs affiliés à l’Institut d’histoire des représentations et des idées dans les modernités, le portail Coran 12-21 a été inauguré en octobre 2019. Ce site s’adresse tant aux passionnés qu’aux experts et propose un accès aux diverses éditions du Coran qui se sont propagées en Europe, depuis sa première traduction en latin au XIIe siècle jusqu’à la version contemporaine, ce qui explique son appellation. Grâce à son interface conviviale, les utilisateurs peuvent aisément comparer les textes, sourate après sourate, accompagnés de fiches historiques exhaustives.

    Ces avancées technologiques s’accompagnent de transformations économiques, culturelles et sociales significatives dans les nations musulmanes, telles que l’augmentation de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie, le progrès de l’alphabétisation, l’accroissement du taux de scolarisation, la propagation des nouvelles technologies, un accès élargi au savoir, et l’élargissement des droits des femmes.

    Illustration – Imprimé à Médine : Le Complexe du roi Fahd à Médine est aujourd’hui chargé de publié la version officielle du Coran.

    La possibilité de consulter le texte sacré du Coran s’est élargie, incluant désormais les femmes, les jeunes en âge scolaire (de 12 à 25 ans) et les membres des classes sociales moins aisées. Les croyants ont maintenant l’opportunité de posséder leur exemplaire personnel du Coran, ce qui permet sa lecture dans des lieux variés, autres que la mosquée, et à des moments différents de ceux prescrits par les rituels religieux. Le Coran est ainsi lu à domicile, souvent avant le coucher (le livre se trouve sur la table de nuit dans de nombreux ménages), mais aussi pendant les trajets en train ou même sur le lieu de travail. Par conséquent, la lecture du Coran n’est plus exclusivement régulée par les institutions religieuses (comme la mosquée), l’État (à travers l’éducation publique ou les écoles coraniques) ou le cadre familial.

    Dans cette dynamique récente, le mushaf devient progressivement un indicateur social distinctif, marquant les différences entre les classes économiques (en raison de la diversité des prix du livre, qui peut être plus ou moins orné), les genres (les femmes ayant une préférence pour les Corans avec des pages colorées), les tranches d’âge, ainsi que les personnes éduquées et celles qui le sont moins (ces dernières optant pour des versions plus ou moins didactiques du texte). Les éditeurs, attentifs aux exigences de leur lectorat, développent maintenant des éditions pédagogiques dont la mise en page est conçue pour aider à la mémorisation des sourates. Ces éditions incluent des commentaires ou un lexique pour clarifier les sections ou les termes complexes.

    Au sein de la vie de dévotion des croyants, le Coran transcende sa forme écrite originelle. Il est non seulement lu et psalmodié, mais aussi écouté, incorporé dans les échanges quotidiens et admiré à travers les ornements des mosquées et les œuvres d’art qui décorent les foyers. Il n’est pas rare de remarquer des éditions magnifiquement reliées en bonne place dans les pièces à vivre. Les voix des récitants renommés résonnent à travers l’espace social musulman, que ce soit sur des supports physiques comme les cassettes ou les CD, ou bien dans les lieux publics tels que les boutiques, les cafés, les salons de beauté, les taxis et les transports en commun. La radio participe également à cette diffusion en continuant de propager ces lectures. Pour certains, cela représente une manifestation de l’islam dans l’espace public, tandis que pour d’autres, c’est l’expression de nouvelles façons d’interagir avec le sacré, mêlant agrément et éducation religieuse.

    Le Coran connaît aussi une présence croissante sur internet, accessible sur d’innombrables plateformes. Les versions digitales offrent la possibilité d’être consultées et étudiées via des mots-clés, des thèmes ou des noms spécifiques. Ces recherches conduisent les lecteurs vers d’autres ressources telles que des guides érudits, des exégèses, des prêches et des homélies, en lien avec le passage sélectionné. Ces pratiques modernes illustrent la manière dont la communauté musulmane a su intégrer le Coran dans le contexte contemporain du XXIe siècle.

    Remarque : Nous exprimons notre gratitude profonde envers Anouk Cohen pour son dévouement et son travail. Occupant le poste de Chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, elle a contribué à l’enrichissement de la littérature avec son œuvre intitulée “Fabriquer le livre au Maroc”, parue aux éditions Karthala en 2016.

    X. Pour approfondir :

    Les principaux ouvrages ci-dessous ont permis élaboration de l’ensemble de nos 7 chapitres sur la série des Dossiers sur le Coran. Afin de perfectionner votre connaissance historique sur la genèse du coran, n’hésitez pas à vous  les procurer ou lire directement les résultats des différents chercheurs mentionnés dans ces articles.

    1. Le texte :

    -Le Coran, éd. et trad. de l’arabe par D. Masson, [1967], Gallimard, « Folio classique », 1980, 2 vol.

    2. Les débuts de l’Islam :

    – Encyclopédie de l’Islam, 2e éd., Leiden, Brill, 2007 (referenceworks.brillonline.com).
    – M. A. Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007.
    – G. W. Bowersock, The Crucible of Islam, Cambridge, Harvard University Press, 2017.
    – F. Déroche, Le Coran, PUF, « Que sais-je ? », 2019.
    – G. Martinez-Gros, L’Empire islamique, viie-xie siècle, Passés composés, 2019.
    – F. Micheau, Les Débuts de l’Islam. Jalons pour une nouvelle histoire, Téraèdre, 2012.
    – J. et D. Sourdel, Dictionnaire historique de l’Islam, PUF, « Quadrige », 2004.

    3. La genèse du texte

    – M. A. Amir-Moezzi, Le Coran silencieux et le Coran parlant. Sources scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur, [2011], CNRS Éditions, « Biblis », 2020.
    – M. A. Amir-Moezzi, G. Dye (dir.), Le Coran des historiens, Cerf, 2019.
    – J. Chabbi, Le Seigneur des tribus. L’islam de Mahomet, CNRS Éditions, « Biblis », 2013.
    – H. Chahdi, Le Mushaf dans les débuts de l’islam, Leyde, Brill, à paraître.
    – F. Déroche, Le Coran, une histoire plurielle. Essai sur la formation du texte coranique, Seuil, 2019.
    – A.-L. de Prémare, Les Fondations de l’Islam. Entre écriture et histoire, Seuil, 2002 ; Aux origines du Coran. Questions d’hier, 6approches d’aujourd’hui, Téraèdre, 2004.
    – I. Gajda, préface de C. J. Robin, Le Royaume de Himyar à l’époque monothéiste. L’histoire de l’Arabie du Sud ancienne, de la fin du ive siècle de l’ère chrétienne jusqu’à l’avènement de l’islam, Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, t. XL, 2009.
    – C. J. Robin (dir.), Le Judaïsme de l’Arabie antique, Actes du colloque de Jérusalem (février 2006), Turnhout, Brepols, 2015.

    4. Diffusion et réception

    – M. Azaiez, S. Mervin (dir.), Le Coran. Nouvelles approches, CNRS Éditions, 2013.
    – E. Cellard, La Transmission manuscrite du Coran, Cerf, à paraître.
    – A. Cohen, « Le Coran et ses multiples formes », Terrain n° 59, septembre 2012, pp. 70-87 ; Fabriquer le livre au Maroc, Karthala, 2016.
    – O. Hanne, L’Alcoran. Comment l’Europe a découvert le Coran, Belin, 2019.
    – A. Mérad, L’Exégèse coranique, PUF, « Que sais-je ? », 1998.
    – G. Schoeler, Écrire et transmettre dans les débuts de l’islam, PUF, 2002.

     

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