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    Histoire du Coran Partie 3 : Abd al-Malik et la naissance de l’empire islamique

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    Les dossiers du Coran –  Abd al-Malik et la naissance de l’empire islamique

    Selon la tradition, se heurtant à l’opposition des Quraych, sa tribu d’origine, Muhammad quitte La Mecque pour Médine en 622 (c’est l’hégire), où il organise la vie de la première communauté musulmane et se lance à la conquête de la péninsule arabique et de la Palestine. Après sa mort, en 632, les querelles entre ses anciens compagnons n’empêchent pas la poursuite de l’expansion arabe. Aux quatre premiers califes succède le puissant califat omeyyade (661-750), qui établit sa capitale à Damas. Au cours du règne fondateur d’Abd al-Malik (685-705), l’islam est élevé au rang de religion d’État et l’arabisation de l’administration est engagée.

    I. De quand date la version officielle du Coran telle que nous la connaissons aujourd’hui ?

    La tradition islamique attribue la première version canonique du Coran au temps d’Uthman, le troisième calife (644-656), environ vingt ans après le décès du Prophète, ce qui explique parfois l’appellation de Vulgate uthmanienne. Bien qu’il soit reconnu qu’une portion du texte fut rédigée durant son califat, des théories récentes suggèrent que la compilation définitive pourrait dater du mandat du cinquième calife omeyyade, Abd al-Malik (685-705), soit sept décennies suivant la mort de Muhammad.

    Abd al-Malik est même parfois vu comme l’instigateur de l’islam en tant que doctrine officielle de l’empire, une perspective renforcée par son importante contribution législative et religieuse, ainsi que par ses efforts pour consolider l’empire, des éléments qui pourraient se refléter dans le Coran. La période de cinquante ans entre Uthman et Abd al-Malik a été témoin de changements significatifs au sein du monde musulman (escalade des conflits internes, expansion territoriale, établissement de l’empire arabe), marquant une transition rapide de l’Arabie tribale, berceau du Prophète, vers un vaste empire s’étirant de l’Afrique du Nord à l’Asie centrale, dirigé par un calife se positionnant comme héritier de Muhammad et dirigeant de l’islam.

    Illustrations : Mosaïques coraniques Monument originel de l’Islam, achevé à Jérusalem en 691-692, le Dôme du Rocher est construit à l’emplacement supposé du temple de Salomon, pour concurrencer les églises de la Ville sainte. Le décor intérieur en mosaïque comporte les plus anciennes citations coraniques. Le décor extérieur date de Soliman le Magnifique (XVIe siècle).

    Durant la transition entre le 7ème et le 8ème siècle, Abd al-Malik se distingue comme le premier des éminents califes omeyyades à initier l’arabisation des fondations impériales. Il a pris des mesures significatives en instaurant l’arabe en tant que langue officielle pour l’administration et la législation. Il est reconnu pour avoir établi plusieurs lois qui régissent les territoires des populations soumises, ainsi que le statut légal des communautés juives et chrétiennes. Son nom est également fréquemment cité dans divers documents traitant de la formation du Coran, ce qui suggère qu’il a joué un rôle prépondérant dans la mise en place de sa compilation officielle.

    II. Abd al-Malik, le fondateur

    Abd al-Malik, cinquième souverain de la lignée des Omeyyades, régna de 685 à 705 et s’imposa comme un législateur de premier plan et l’architecte de l’Empire islamique, élevant l’islam au rang de religion d’État. Triomphant lors du second conflit interne (680-692), il consolida la domination impériale sur l’Arabie, l’Irak et l’Iran. Son époque vit l’achèvement de l’expansion territoriale en Afrique du Nord. Initiatives fiscales et militaires majeures marquent son administration, ainsi que l’arabisation de l’administration par l’imposition de l’arabe en tant que langue officielle exclusive. Il initia une réforme de la monnaie, créant les premières pièces islamiques en or (dinar) et en argent (dirham) avec des inscriptions en arabe. Son règne est également célèbre pour l’établissement de la version canonique du Coran et l’édification du Dôme du Rocher sur l’emplacement du Temple de Jérusalem. Ses quatre fils lui succédèrent, dirigeant le califat de 705 à 743, période durant laquelle ils étendirent leur influence jusqu’à l’Espagne et au sud de la France actuelle.

    Illustration – Dinar :  Monnaie d’or frappée à Damas vers 696 avec une légende en arabe. L’effigie, empruntée à un modèle byzantin, représente soit Muhammad, soit le calife Abd al-Malik.

     

    III. Omeyyades vs chiites, la guerre de succession

    Illustration : Cette œuvre d’art du 16ème siècle illustre l’exécution par décapitation du descendant du Prophète, survenue le 10 octobre 680 à Karbala, ainsi que l’anéantissement de ses partisans par les forces du calife de Damas. Cet épisode tragique a profondément marqué la division historique et sanglante entre les branches sunnite et chiite de l’islam.

    Suite au décès de Muhammad en 632, un groupe restreint de ses fidèles compagnons a choisi Abu Bakr comme son successeur, écartant ainsi Ali, le cousin et gendre de Muhammad. Ali était considéré par beaucoup comme le Messie, le seul véritable héritier des enseignements spirituels et politiques du Prophète. C’est à ce moment que le schisme initial entre les chiites (les partisans d’Ali, du mot arabe chii) et la majorité des musulmans, qui s’identifieront plus tard au sunnisme (de sunna, signifiant la tradition du Prophète), a pris racine.

    En 656, avec l’ascension d’Ali au califat suite à l’assassinat d’Uthman, le troisième calife, une guerre civile éclate parmi les musulmans. Cette période est marquée par la révolte de Muawiya, gouverneur de Syrie, qui accuse Ali d’être derrière le meurtre de son prédécesseur. Le conflit s’achève en 661 avec l’assassinat d’Ali et l’accession au pouvoir de Muawiya. Cependant, la discorde ressurgit en 680 avec l’arrivée au pouvoir de Yazid Ier, le fils de Muawiya, et la rébellion de Husayn, fils d’Ali et imam des chiites. Le massacre de Husayn et de ses partisans à Karbala, le 10 octobre 680, scelle définitivement la division entre le pouvoir impérial, représenté par les califes omeyyades puis abbassides, et les chiites, qui considèrent les imams descendants de Husayn comme les seuls successeurs légitimes de Muhammad.

    III.1. Comment expliquer dès lors que la tradition ait plutôt retenu le nom de son prédécesseur Uthman ?

    Il est plausible que la raison soit de nature politique. Selon les écrits d’Alfred-Louis de Prémare, éminent spécialiste français de l’islam décédé en 2006, il semble que ce soit Abd al-Malik en personne qui ait décidé d’attribuer la compilation du Coran à Uthman, le premier calife de la dynastie omeyyade, dans le but de consolider l’autorité de la lignée califale issue de sa famille, en la rattachant à la version officielle du texte sacré de l’islam. Cependant, cela ne signifie pas que cette version califale ait été unanimement acceptée par la communauté musulmane. En effet, le calife comptait de nombreux opposants, en particulier les protochiites, partisans d’Ali, qui remettaient en cause la prétention des Omeyyades à être considérés comme les héritiers du Prophète. L’adoption de la version califale par l’ensemble des musulmans s’est étendue sur plusieurs siècles et, jusqu’au début du dixième siècle, au moins quatre versions différentes du Coran étaient encore en circulation.

    III.2. Le Coran a donc été en partie façonné par et pour l’empire. En amont, est-ce que le message coranique a été un facteur décisif des conquêtes arabes ?

    La majorité des spécialistes en histoire s’accordent sur le fait que l’adhésion à une croyance religieuse, soit un corpus de rituels et de préceptes, est un processus de longue haleine. Il est rare qu’une communauté entière embrasse une foi instantanément. Cependant, les conquêtes menées par les Arabes ont eu lieu peu après le décès du Prophète, à une époque où les enseignements qu’il avait diffusés n’avaient pas encore eu le temps de s’implanter profondément. De ce fait, nombreux sont ceux qui questionnent l’influence réelle de la foi dans l’élan des conquêtes arabes.

    Dans ce contexte, Karl-Friedrich Pohlmann, un érudit allemand renommé dans le domaine des études religieuses, a révélé une découverte capitale. Initialement spécialiste de la Bible avant de s’intéresser au Coran, il a employé diverses techniques d’analyse biblique sur les sourates dites de combat, en particulier les sourates VIII et IX. Ses recherches suggèrent que Muhammad comptait vraisemblablement deux groupes de disciples. Le premier était constitué des premiers convertis, ceux qui croyaient fermement au message originel de Muhammad annonçant une apocalypse proche et appelant à la pénitence et à l’entraide mutuelle.

    La guerre sacrée n’est pas un concept qui les caractérise. Ils sont des individus pacifiques et non belliqueux, vraisemblablement en étroite relation avec les Juifs et les Chrétiens qu’ils côtoient. Le second ensemble est constitué de ceux que le Coran désigne sous le terme d’hypocrites, à savoir les habitants de La Mecque qui ont embrassé la foi prônée par Muhammad par intérêt, suite à leur défaite militaire. Contrairement aux premiers, ces individus sont des activistes, convaincus que les Arabes doivent préparer l’avènement du Jugement dernier à travers le combat, le pillage et l’expansion territoriale.

    Cette scission entre les compagnons du Prophète militants et non militants peut être mise en parallèle avec ce que l’on sait de la famille proche du Prophète, les Banu Hachim, qui géraient les affaires spirituelles à La Mecque, et les Omeyyades, issus de la même vaste tribu des Quraych, qui se chargeaient plutôt des affaires économiques et politiques. Ces derniers, qui se sont ralliés à Muhammad principalement lors de sa prise de La Mecque en 630, ont accédé au pouvoir après sa disparition. Selon cette théorie, solidement argumentée et documentée par Pohlmann, ces individus étaient en quête de richesses bien avant leur conversion et n’ont utilisé l’influence du Prophète que pour satisfaire leur désir de domination.

    « Un courant du chiisme continue de soutenir la thèse ancienne de la falsification du Coran »

    III.3. La genèse du chiisme source des premières entre musulmans et son implication dans la rédaction du Coran

    Au sein des divers mouvements qui ont initialement rejeté la version officielle du Coran, les premiers chiites se distinguent par leur opposition particulièrement fervente. Même au-delà du dixième siècle, période durant laquelle la version officielle semblait être universellement acceptée par la communauté musulmane, un courant discret mais persistant au sein du chiisme a continué de défendre l’idée d’une altération originelle du texte coranique, une croyance qui perdure encore aujourd’hui.

    Pour comprendre cette persistance, il est nécessaire de se pencher sur le message originel du Prophète Muhammad. Rappelez-vous : sa mission première était d’annoncer l’imminence de la fin des temps, s’inscrivant ainsi dans une tradition prophétique biblique. En toute logique, il aurait dû également prédire l’arrivée du Messie, le libérateur annoncé pour la fin des temps. Étonnamment, la figure messianique est omise dans le Coran. Certes, Jésus y est nommé Al-Masih, mais sans aucune explication quant à la signification profonde de ce titre. En revanche, dans les hadiths, le Prophète évoque fréquemment la venue du Sauveur, souvent identifié à Jésus dans les récits les plus anciens. Il semble que ce soit plus tard, probablement sous le règne d’Abd al-Malik, que l’image du Sauveur a été adaptée à un contexte arabe, le transformant aux yeux des sunnites en un descendant non spécifié du Prophète. De plus, le Coran reste muet concernant les contemporains de Muhammad.

    Pourquoi ce grand silence est-il resté inexpliqué ? C’est ici que les chiites entrent en jeu avec leur remise en question de la narration acceptée. Selon eux, l’aspect messianique était clairement inclus dans l’enseignement initial du Prophète. Des écrits chiites historiques suggèrent même que plusieurs des premiers compagnons du Prophète, qui faisaient partie d’un groupe initial de croyants pacifiques, voyaient en Ali, le cousin et gendre du Prophète, marié à sa fille aînée Fatima et père de ses deux petits-enfants Hasan et Husayn, une incarnation de Jésus, le Messie en personne. Les chiites, descendants de ces premiers soutiens d’Ali, le vénèrent comme leur premier imam, un saint parmi les saints, l’incarnation parfaite des qualités divines. Ils croient que la référence à l’aspect messianique du message de Muhammad, spécialement en ce qui concerne Ali, a été supprimée du Coran lors de sa compilation officielle par le second groupe de croyants belliqueux, ces hypocrites qui ont pris le contrôle après la mort du Prophète en écartant Ali, et qui ont établi l’Empire omeyyade à l’issue de longues années de conflits internes.

    En occultant cette facette, les opposants d’Ali auraient tenté de dissimuler non seulement son rôle exceptionnel dans la doctrine prophétique, mais aussi de faire oublier la prédiction par le Prophète de la fin proche du monde, un monde qu’ils avaient entre-temps conquis et dont ils ne souhaitaient pas voir la disparition.

    Contrairement à cela, l’aspect messianique initial est resté très présent dans le chiisme, même après le décès d’Ali. Son rôle de messie a été hérité par ses descendants, les imams, parmi lesquels doit émerger le Sauveur. Selon certains chiites, les modifications ultérieures justifieraient l’aspect incohérent et morcelé du Coran actuel, et expliqueraient aussi pourquoi il y a si peu de mentions des contemporains du Prophète, à l’opposé de ce qui est courant dans d’autres écrits de la tradition biblique.

    Toutefois, cette perspective n’est que celle promulguée par les sources chiites, qui sont autant biaisées que les sources sunnites traditionnelles. Il est crucial de les considérer, une pratique que l’islamologie n’a adoptée que récemment, ayant longtemps suivi les préceptes de l’orthodoxie sunnite. Il est toujours enrichissant de prendre en compte le point de vue des perdants de l’histoire, qui, dans ce cas, aide à résoudre certaines incohérences des gagnants. D’autant plus que les fondements de l’argumentation chiite concordent avec ceux des historiens : ils soutiennent que le Coran est ancré dans l’histoire, qu’il a été composé durant une période de guerre civile, influencé par une collusion entre les sphères du pouvoir califal et les érudits, et que sa rédaction a été longue et le fruit du travail de plusieurs auteurs.

    « Dans les trois premiers siècles de l’islam, on est frappé par l’élaboration très précoce des sciences coraniques »

    III.4. Comment le texte a-t-il été interprété par la tradition savante de l’islam médiéval ?

    Depuis les origines, les érudits de l’islam ont considéré le Coran comme un message sacré, issu d’une révélation divine. Néanmoins, ils ont aussi rapidement identifié des aspects énigmatiques au sein du texte. Cela est attesté par la mise en place hâtive des études coraniques durant les premiers siècles de l’islam, visant à approfondir la compréhension du Coran. Une branche de ces études se consacre à l’analyse de la structure du Coran, cherchant à rationaliser son agencement parfois fragmenté et incohérent, en guise de réplique aux critiques formulées par les savants juifs et chrétiens lors d’importants débats théologiques de l’époque. En examinant les ouvrages relevant de cette catégorie, on constate que chaque penseur propose une interprétation distincte de l’agencement du texte.

    Une autre discipline coranique s’intéresse aux contextes de la révélation (asbab al-nuzul), tentant de déterminer les circonstances historiques (un conflit, une dispute familiale, un fait divers, etc.) qui ont présidé à la révélation de certaines sourates ou versets. Ici encore, les explications varient grandement : il n’est pas rare qu’un seul verset soit associé à jusqu’à quatorze contextes de révélation différents.

    Quant à la science de l’abrogation, elle s’efforce de résoudre les nombreuses contradictions présentes dans le texte, comme celles relatives à la consommation d’alcool, alternativement décrite comme une boisson céleste, comparable au lait et au miel, comme un breuvage interdit uniquement durant la prière, ou encore comme une liqueur maléfique strictement bannie.

    Pour concilier ces divergences, la science de l’abrogation postule qu’un verset plus récent invalide les versets antérieurs lorsqu’ils sont en contradiction. Cette notion a engendré de multiples questionnements théologiques chez les musulmans, perplexes face à l’idée d’un Dieu qui pourrait réviser son jugement sur une question précise. Et puis, selon les auteurs,
    le nombre des versets abrogeants et abrogés
    variait de 3 à 400.

    Ceci illustre que le Coran présentait des défis considérables pour les fidèles musulmans. Cependant, à mon avis, les érudits ont transformé cette difficulté en une opportunité remarquable. Dans leur quête de compréhension de leur écriture sainte, ils ont exploré des perspectives diverses provenant d’autres traditions culturelles, telles que celles des Juifs, des chrétiens, des manichéens, des Grecs, des Iraniens, et d’autres encore. Ce faisant, ils ont enrichi l’islam d’une dimension herméneutique profonde. En effet, la démarche herméneutique est reconnue comme un vecteur de civilisation : elle part du principe qu’un texte dépasse sa simple lecture littérale, qu’il renferme de multiples niveaux de signification, et que son interprétation exige l’adoption de divers points de vue. C’est cette capacité à transcender le texte qui est à l’origine de la naissance d’une culture.

    III.5. À partir de quand les savants ont-ils commencé à faire une lecture historique et critique du Coran ?

    Les premiers travaux de critique historique, ancrés dans les disciplines de l’histoire et de la philologie, ont vu le jour dans la première moitié du XIXe siècle en Allemagne. Ces recherches ont été menées par des érudits, principalement de confession juive, dotés d’une connaissance approfondie de la Bible et des langues dans lesquelles elle a été rédigée – l’hébreu, le grec et le syriaque. Ces spécialistes de la Bible se sont d’abord penchés sur le Coran, attirés par les similitudes qu’ils percevaient avec les écritures bibliques. Abraham Geiger fut un précurseur dans ce domaine, avec sa première analyse philologique d’envergure du Coran. Plus tard, Theodor Nöldeke et ses élèves ont rédigé un ouvrage de référence sur l’histoire du Coran, intitulé Geschichte Des Qorans, qui s’est rapidement imposé comme un ouvrage de référence.

    Le siècle suivant a marqué un tournant décisif pour les études coraniques avec deux événements majeurs. Le premier a eu lieu dans les années 1970, initié en Allemagne par Günter Lüling, puis en Angleterre par l’Américain John Wansbrough, suivi de la Danoise Patricia Crone et du Britannique Michael Cook. Leurs travaux ont suscité de vifs débats, mais ils ont surtout établi des jalons méthodologiques et épistémologiques robustes qui demeurent pertinents. Ils ont révélé que les sources islamiques traditionnelles ne sont pas entièrement fiables concernant les origines de l’islam et du Coran, révélant des contradictions, des invraisemblances et des mythes. Cela ne signifie pas qu’il faille les écarter, mais plutôt qu’il est nécessaire de les examiner avec un esprit critique aiguisé, en tenant compte de leurs incohérences. Un autre apport significatif de cette période est la nécessité d’inclure dans l’analyse critique les sources non islamiques de la même époque, telles que les sources zoroastriennes, juives et chrétiennes, qui offrent souvent un éclairage complémentaire précieux par rapport aux textes islamiques ultérieurs.

    Une transformation significative a eu lieu au cours des années 2000, marquée par la reconnaissance de l’impact majeur du christianisme syriaque sur la formulation du Coran. Cette période a également été caractérisée par l’adoption de l’histoire matérielle comme discipline complémentaire (incluant l’archéologie, l’épigraphie, la paléographie et la codicologie), dont les experts entretiennent désormais des échanges constructifs avec les historiens et les philologues spécialisés dans l’étude de l’islam.

    III.6. Le Coran des historiens héritier de ces nouvelles recherches. Quels sont les objectifs de cette somme monumentale ?

    L’objectif principal de cet ouvrage est de fournir un résumé des recherches effectuées depuis le XIXe siècle, période marquant l’émergence des études coraniques, et plus particulièrement depuis les années 1970. Cette démarche nous semblait essentielle, car les progrès réalisés au cours des années 2000 ont entraîné une multiplication des publications dans le champ des études coraniques. Cela a mené à la formation de groupes de recherche internationaux, composés d’érudits de différentes spécialités, produisant des travaux de qualité variable.

    Cependant, ce livre aspire également à rendre hommage aux érudits des XIXe et début XXe siècles, qui ont contribué de manière significative à l’établissement des études coraniques, bien que leurs contributions aient parfois été négligées. Par exemple, Paul Casanova, enseignant au Collège de France au début des années 1900, était un précurseur dans son domaine. Ses idées, bien que rejetées par ses contemporains en raison de son insistance sur l’aspect apocalyptique du message de Muhammad, sont de nouveau prises en considération de nos jours. Son livre, Mohammed et la fin du monde, revêt une importance capitale pour la compréhension des origines de l’islam.
    En outre, notre ouvrage met en lumière les recherches les plus récentes concernant le Coran.

    Le second but poursuit une visée politique. Le Coran des historiens vient enrichir les perspectives déjà offertes par le Dictionnaire du Coran que j’ai eu l’honneur de diriger en 2007 aux éditions Robert Laffont, ouvrage qui s’insérait dans un contexte civique. Après les événements tragiques de 2001, une tendance s’est dessinée pour présenter l’islam sous un angle unique et figé : pour certains, il s’agissait d’une religion d’assaut et de brutalité, tandis que pour d’autres, c’était une foi offrant le salut universel. Le Dictionnaire visait à dépasser cette opposition simpliste en mettant en avant la richesse et la variété des lectures et des compréhensions du Coran au sein de la communauté musulmane, incluant théologiens, exégètes, juristes et mystiques. Le Coran des historiens propose une lumière additionnelle, se concentrant non sur les interprétations des musulmans sur leur texte sacré, mais sur les événements antérieurs et concomitants à la formation du corpus coranique, ou le Coran avant l’islam. Notre ambition était d’adopter une approche philologique, analytique et objective envers le Coran, tout en conservant une profonde considération pour le texte et pour ceux qui lui accordent leur foi.

    « Une démarche historico-critique peut porter atteinte à des croyances accessoires, mais pas à la foi »

    Il arrive fréquemment que des étudiants et des fidèles musulmans m’interrogent sur le risque que représente certaines analyses pour leur conviction religieuse. Pour répondre à cela, je cite souvent des figures emblématiques de l’islam, notamment Al-Ghazali, un éminent théologien sunnite du XIe-XIIe siècle, et Ibn Arabi, un illustre mystique du XIIe-XIIIe siècle. Ces érudits ont établi une différence fondamentale entre la croyance et la foi, soutenant que la foi peut être altérée par diverses croyances et que, pour la renforcer, il est parfois nécessaire de se défaire de ces dernières. La foi est un concept profondément mystérieux, comparable à un sentiment intime, presque à de l’amour. La croyance, quant à elle, est ancrée dans l’histoire et est le produit de la culture, de l’éducation et de l’influence de notre entourage. À mon avis, une approche critique de l’histoire peut remettre en question certaines croyances, mais jamais la foi. Cette démarche permet de séparer ce qui est fondamental de ce qui est secondaire, de se délester des croyances superflues afin de mieux sauvegarder la foi véritable. Ainsi, loin de constituer une menace pour la foi, l’histoire peut en réalité la fortifier.

    IV. Quelques définitions et mots clés

    Calife :  De l’arabe khalifa, successeur ou lieutenant. Porté pour la première fois
    par Abd al-Malik (685-705), sous la forme khalifat Allah (lieutenant de Dieu), ce titre s’impose chez les Abbassides à partir de 775. Au Xe siècle, ce titre théoriquement universel est porté à la fois par le souverain abbasside de Bagdad (sunnite), le souverain fatimide du Caire (chiite) et le souverain omeyyade de Cordoue (sunnite).

    Imam :  Guide de la communauté musulmane. Pour les sunnites, l’imam par excellence est le calife. Plus généralement, il est celui qui dirige la prière. Aujourd’hui, il y en a un ou plusieurs dans chaque mosquée, souvent un simple croyant.

    À savoir  :  Le mutazilisme et la querelle du Coran créé ou incréé
    Les penseurs musulmans s’accordaient pour voir dans le Coran la parole de Dieu mais s’opposaient sur la nature du texte. Dieu avait-il créé le Coran en le révélant à Muhammad ? Ou bien le Coran était-il de toute éternité un attribut de Dieu ? Le calife Abd Allah al-Mamun (813-833), partisan du mutazilisme, courant de pensée rationaliste, voulut imposer la doctrine du Coran créé. De 833 à 849, les ulémas furent soumis à l’épreuve (mihna) de la question du Coran créé. Cette querelle donnait aux califes l’occasion d’imposer leur autorité en matière de dogme. Mais l’opposition des ulémas fut plus forte. L’abandon de la doctrine du Coran créé marque la séparation définitive en Islam entre pouvoir politique et autorité religieuse.

    Remarque : Propos recueillis par Julien Loiseau, Ariane Mathieu et François Mathou.

     

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